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En 2009, Angèle Lieby, hospitalisée pour une simple migraine, a été victime d’un syndrome extrêmement rare et s’est retrouvée prisonnière de son corps.  Elle a été placée dans un coma artificiel. Elle a échappé de justesse à la mort : les médecins, qui n’arrivaient pas comprendre qu’elle souffrait du syndrome de Bickerstaff, la croient définitivement perdue, et veulent la « débrancher », une euthanasie qui ne dit pas son nom. Mais elle entend tout, ressent tout… sans que cela se voit. Une affaire qui rappelle tristement celle de Vincent Lambert (qui, lui, n’est branché à rien : sa situation médicale).

Angèle est incubée, son corps inerte est relié à des machines, mais son esprit est conscient. Tétanisée, comme dans un pire film d’horreur, à l’idée d’être enterrée vivante à juste 59 ans… Tout entendre et ne pas pouvoir hurler… Trois ans après ce terrible 13 juillet 2009, elle raconte cet enfer dans « Une larme m’a sauvée »*. « C’est un peu une thérapie… Mais c’est surtout un cri du cœur : tant qu’on n’est pas mort, on est vivant ! » déclare-t-elle au journal Le Parisien/Aujourd’hui en France.

Considérer quelqu’un comme vivant, même lorsqu’il semble plongé dans un coma irréversible, c’est ne pas lui enfoncer sans ménagement des instruments métalliques dans la gorge, précise-t-elle. Ne pas le retourner comme un paquet de viande, ne pas lâcher, au pied de son lit, comme l’ont fait les médecins, qu’« elle va bientôt clamser ».

En fait, Angèle n’a rien oublié de son terrible et long cauchemar. Surtout pas ce moment où, pour montrer aux externes « comment on voit qu’une personne est vivante ou morte », on lui a tordu le téton en concluant « vous voyez, pas de réaction » alors qu’elle ressentait une douleur insupportable…

« Il va falloir la débrancher. Plus rien ne fonctionne à part le cœur », dit aussi un médecin à son mari, dépité. Celui-ci essaye de mettre de la musique, pour la maintenir en vie. « Au début, je fredonnais à l’intérieur, et puis c’est devenu un cauchemar ça aussi, admet Angèle. Les mêmes chansons en boucle, tout le temps ! » Raymond finira par aller choisir le cercueil, en chêne clair capitonné de satin blanc. Les obsèques sont fixées au 20 juillet. Mais Raymond se ravise face au chagrin de leur fille Cathy et de leurs deux petites-filles… « J’étais perdu, avoue-t-il. Je la voyais morte, mais je ne pouvais pas accepter qu’on la tue. »

Jusqu’au jour où, pour leur anniversaire de mariage, une larme coule le long de la joue d’Angèle…

A lire :
Interview audio(!) sur RTL
Article du Parisien

Extraits (1er chapitre) :

Tout est noir. Je suis dans le noir. Un noir total, sans la moindre nuance, sans la moindre lueur. Un noir terrifiant ou rassurant, je ne sais. C’est le même que celui de mon enfance, lorsque je m’enfermais dans un placard pour me sentir en sécurité en même temps qu’effrayée…

J’ai beau regarder de toutes mes forces, je ne vois rien. Rien que ce noir profond. Ai-je les yeux ouverts ou fermés ? Je l’ignore. Que s’est-il passé ? Je ignore également. Je sais simplement que je ne suis pas seule : entends quelqu’un à côté de moi. Il a une respiration rapide, comme un chien après Feffort.

Est-ce un homme ? Un animal ?

Mais surtout, je me sens oppressée. Je ressens une pression si forte sur ma poitrine que je dois résister pour respirer. Alors, je gonfle ma cage thoracique, et je produis un effort si grand que j’entends mes côtes craquer… Je m’arrête, effrayée. Mais ce poids me comprime, et je ne peux quand même pas me laisser écraser…

Je dois lutter pour respirer, dans ce noir absolu. Que s’est-il passé ? Quelle est l’explication de tout ceci ? Un événement grave a dû se produire, c’est évident. Je dois le découvrir. Je dois me calmer, et réfléchir.

Je suis venue aux urgences, je m’en souviens très bien : j’avais mal à la tête, un mal de tête si terrible que je me suis rendue à  »hôpital. Quel endroit plus sûr qu’un hôpital ? Et me voici désormais dans l’obscurité. Où sont-ils, les médecins ? Où sont-elles, les infirmières ? Où est Ray ? Où sont mes proches ? Qu’est-ce qui m’écrase ainsi ? Je résiste, mes côtes craquent, et je n’ose plus ni abdiquer, ni résister….

En fait, c’est comme si ’’hôpital m’était tombé dessus. C’est cela : comme s’il y avait eu un tremblement de terre, et que j’étais ensevelie sous des tonnes de décombres. Il y a cette respiration rapide à côté, celle d’un autre être vivant pris au piège, lui aussi, dans l’écroulement soudain du monde. Mais à part ça, tout est calme. Est-ce toujours aussi tranquille après
un séisme ? Est-ce le même silence qui succède au vacarme des catastrophes ? Sans doute. Il y a aussi un calme après la tempête.

Ce qui est curieux, c’est qu’à part ce poids sur mes côtes, à part l’énigme de ce noir immense, je me sens bien. En pleine forme ! Bien mieux, en tout cas, que quand je suis arrivée, avec cette migraine atroce qui m’enserrait le crâne comme dans un étau. Maintenant, ce n’est plus ma tête qui est comprimée, c’est ma poitrine ; c’est angoissant, mais c’est plus supportable. J’essaie d appeler, mais je crois bien qu’aucun cri ne sort de moi. Ne résonnent que mes pensées. L’être à côté de moi est également muet. Il ne parle ni ne grogne.

Le temps passe. Bêtement, insensiblement, j’essaie de respirer comme lui, avec ce rythme rapide et mécanique de chien essoufflé. C’est une fçcon de m’occuper. Je me fatigue. Je suis toujours oppressée, mais je ne fais plus d’effort pour respirer.

Tant pis. Je me rends. Je m’assoupis…

Je suis réveillée par des voix. Ce sont des voix paisibles, accompagnées de bruits de pas. Des femmes, des hommes. Des discussions brèves, utilitaires. Ils parlent de chambres, de patients.

— Tu as déjà fait les soins de la 230 ?

Je souris intérieurement. Ouf ! Tout s’arrange ! Je suis toujours à l’hôpital et il n’y a pas eu de séisme… Le bâtiment ne s’est pas écroulé. Et je ne suis sans doute pas enfermée dans un placard, je suis installée dans une chambre, comme une patiente ordinaire. Mais pourquoi suis-je encore hospitalisée ? Ils terminent les affaires courantes, je suppose, et ils vont venir me voir, ils vont m’ouvrir les yeux. Ceux-ci sont fermés, voilà tout, ainsi que ma bouche, pour une raison que j’ignore.

Et si c’était grave ? Mais pourquoi ? Je n’ai pas eu d’accident, j’avais juste mal à la tête. Je ne suis que de passage. C’est pour ça que je partage la chambre de ce malade qui dort en continu et respire avec une impressionnante régularité d’animal. Je suis dans un état de semi-conscience, et dès que je serai réveillée, je pourrai rentrer à la maison.

Qui sait, je pourrai peut-être même encore aller danser ! Est-ce que je rêve ? C’est une possibilité. Est-ce que, dans un rêve, on se demande si l’on rêve ? Oui, il me semble. Mais un rêve ne dure jamais longtemps.

Qu’attendent-ils pour m’ouvrir les yeux et me desserrer la mâchoire ? Qu’attendent-ils pour venir me voir, au lieu de ne faire que passer ? Qu’attendent-ils pour me libérer ? Et pour tout m’expliquer ? Ils et elles sont repartis.

Je pense pour m’occuper. Je me souviens parfaitement de tout ce qui est arrivé avant que je ne me  réveille dans cette nuit immense. Je n’ai rien oublié. Le scénario des dernières heures repasse dans mon esprit avec la précision d’un film sur grand écran. D’un côté, je suis heureuse de me le rappeler aussi bien. Et de l’autre je redoute déjà, confusément, ce que je m’apprête à vivre…

(*) Une larme m’a sauvée, Angèle Lieby, Editions les arènes, mars 2012. (lien Amazon)

 

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