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« Dieu est mort : pour lui, on a réglé la question ! », c’est à quelques mots près ce qu’avait déclaré Madeleine Delbrêl, athée fervente avant sa conversion, fêtée aujourd’hui le 13 octobre comme vénérable, n’étant pas encore déclarée bienheureuse par l’Eglise. Devenue missionnaire  au milieu des usines et des cités marxistes, elle a été envoyée vers la misère matérielle mais aussi spirituelle de nos villes. Qui était-elle ? Que disait-elle ? Quelques brides de son parcours.

Selon Wikipédia, Madeleine Delbrêl est une mystique catholique et assistante sociale française, née le 24 octobre 1904 à Mussidan, en Dordogne, et morte le 13 octobre 1964 à Ivry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne.

Sa mère est issue d’une petite bourgeoisie et les grands-parents maternels tiènnet à Mussidan une fabrique de cierges, de cire et de bougies qui fournissait le marché de Lourdes ! (Mais ils auraient très bien pu fournir aussi des bougies pour Halloween !). Son père, Jules, vient d’une famille qui avait perdu son statut social et qui essayait de récupérer le terrain perdu.

Madeleine vit une enfance itinérante à cause du métier de son père, ouvrier, puis cadre aux chemins de fer (Bordeaux, Montluçon, Paris). C’est aussi un autodidacte qui cultive une très grande passion pour la littérature, passion contagieuse pour la petite Madeleine qui, à trois ans, sait déjà lire et écrire.

Une intellectuelle profondément athée

Elle est une fille aimée : même si le couple finit par se séparer, elle gardera avec soin des liens avec ses deux parents. En 1919, Madeleine est à Paris où elle fréquente la Sorbonne et les milieux littéraires et agnostiques qui gravitent autour de son père, ce qui lui permet de se forger un vibrant athéisme. Elle prend des cours de dessin et de philosophie. A l’âge de seize ans, douée d’une intelligence très vive, musicienne, écrivain, elle se déclare strictement athée et sa première communion, pourtant fervente, n’est plus qu’un souvenir lointain. Elle exprime sa protestation contre l’absurdité de l’existence et d’un monde où la mort semble avoir le dernier mot, dans un texte qui est d’une lucidité foudroyante :

« On a dit ‘Dieu est mort’. Puisque c’est vrai, il faut avoir l’honnêteté de ne plus vivre comme s’il vivait. On a réglé la question pour lui : il reste à la régler pour nous… Le malheur grand, indiscutable, raisonnable c’est la mort. C’est devant elle qu’il faut devenir réaliste, positif, pratique. Dieu a laissé partout des hypothèques d’éternité, de puissance, d’âme. Et qui a hérité ?… C’est la mort… Il durait: il n’y a plus qu’elle qui dure. Il pouvait tout: elle vient à bout de tout et de tous. Il était Esprit – je ne sais pas trop ce que c’est – mais elle, elle est partout, invisible, efficace; elle donne un petit coup et toc, l’amour s’arrête d’aimer, la pensée de penser, un bébé de rire… il n’y a plus rien » (1).

L’athéisme de Madeleine est celui d’une intellectuelle qui n’est pas prête à s’engager dans les luttes du monde et qui se moque de tous : des révolutionnaires, des scientifiques, des pacifistes et même des amoureux ! Toutefois, elle aime trop la vie et le défi qu’elle lui lance – confié à une amie – est celui de vouloir rester toujours jeune ! Quel contraste entre ses pensées morbides et son envie de vivre : elle veut s’amuser, et elle aime à la folie la danse !

« Je décidai de prier »

Deux ans plus tard, elle rencontre un jeune chrétien, Jean Maydieu, avec qui elle noue une amitié profonde. Le projet d’une vie ensemble semble apparaître à l’horizon, quand son ami décide d’entrer dans l’ordre des Dominicains. Cet événement, qui bouleverse Madeleine, l’oblige, en même temps, à revoir la question de l’existence de Dieu. Plus tard, elle décrira ainsi cette étape de sa vie :

«Un fait s’était produit : la rencontre de plusieurs chrétiens ni plus vieux, ni plus bêtes, … qui vivaient la même vie que moi, discutaient autant que moi, dansaient autant que moi… mes camarades étaient fort à l’aise dans tout mon réel; mais ils amenaient ce que je devais bien appeler ‘leur réel’ et quel réel! Ils parlaient de tout, mais aussi de Dieu qui paraissait leur être indispensable comme l’air… le Christ, ils auraient pu avancer une chaise pour lui, il n’aurait pas semblé plus vivant… je ne pouvais plus honnêtement laisser non pas leur Dieu, mais Dieu dans l’absurde… je choisis ce qui me paraissait le mieux traduire mon changement de perspective: je décidai de prier… en priant j’ai cru que Dieu me trouvait et qu’il est la vérité vivante, et qu’on peut l’aimer comme on aime une personne». (2)

« J’ai voulu ressembler à une opale rare que le dédain enchâsse entre ses griffes fières »

Si Madeleine exprime dans ces derniers mots l’initiative de Dieu, il est aussi vrai que Dieu s’est imposé à elle à travers une réalité, un ‘fait’, la présence des croyants qu’elle a côtoyés. Déjà dans cette première expérience, le chrétien est pour Madeleine le «sacrement» de la présence de Dieu au cœur du monde. Dans un autre texte elle dira qu’elle a été «éblouie par Dieu» (3), élément qui reviendra plus tard dans sa vie lorsqu’elle l’utilisera pour indiquer la fascination du marxisme.

Madeleine confiera à un ami des équipes que, après sa conversion, elle s’était rendue à l’archevêché pour offrir deux opales auxquelles elle tenait beaucoup. Peu avant elle avait écrit un poème à ce sujet: « J’ai voulu ressembler à une opale rare que le dédain enchâsse entre ses griffes fières ».(4) Un geste symbolique fort: présence de cette dimension ecclésiale dès le début de sa conversion.

Passer de l’écriture à la charité

Après sa conversion, dont elle parle très peu en la décrivant comme un éblouissement, Madeleine envisage d’entrer au Carmel, mais la maladie de son père, devenu presque aveugle, et les problèmes familiaux qui en découlent, lui font changer de perspective. C’est un vrai discernement qu’elle vit et qui aboutit au choix de « rester dans le monde pour Dieu ». Ce n’est pas seulement son père qui a des problèmes de santé, mais Madeleine elle-même a une santé fragile qui l’obligera à s’arrêter à plusieurs reprises sa vie durant.

Au cours de cette période Madeleine continue d’écrire : en 1927, sera publié son premier recueil de poèmes « La Route » qui recevra le prix Sully-Prudhom. Mais c’est dans un dernier recueil de vingt poèmes qu’elle décide de quitter l’écriture ou mieux de passer de l’art de l’écriture à l’art de la charité. Il y a là un des plus beau poème de Madeleine pas encore entièrement publié :

Donne ô Beauté la charité à tout mon être, et sois au sommet de moi-même Que toutes les forces de ma vie, chaque soir, reviennent vers toi. Dans les jours où je vois le monde comme un hôpital sans soleil… quand j’avancerai dans les salles cherchant en vain dans ces yeux pleins de sang, de vin et d’or, un seul reflet de ta lumière, ô Beauté… Donne-moi ta charité pour que je baise l’empreinte de tes doigts indélébiles sur les âmes, sur la mienne comme sur la leur».(5)

Scout de France

Elle s’engage alors comme cheftaine dans le mouvement des «Scouts de France». Avec l’aide de l’Abbé Jacques Lorenzo, aumônier du groupe, elle découvre sa vocation à petits pas: inscrire les conseils évangéliques dans une vie laïque au cœur du monde. L’Abbé Jacques Lorenzo aura une place importante dans le cheminement spirituel de Madeleine: il sera son confesseur durant 30 ans. Un homme réservé, anciennement religieux chez «Les fils de la charité» et puis prêtre diocésain et membre de la Mission de France. Un homme qui avait le charisme de rendre vivante la Parole de l’Evangile. En 1931, Madeleine entreprend des études pour devenir infirmière et assistante sociale. Avec quelques amies du groupe scout, déjà engagées dans un projet de service aux plus pauvres dans la paroisse St-Dominique, naît l’idée de former une petite fraternité, une «cellule d’Eglise» comme elle aime la définir, au service de l’annonce de l’Evangile. «Il faudra d’abord nous maintenir »bien mortes » et puis laisser son Esprit modeler en nous le Christ de maintenant. Le Jésus d’aujourd’hui» (6) dira-t-elle à l’Abbé Lorenzo en 1932.

«La charité de Jésus» à Ivry

En 1933, Madeleine et deux autres compagnes arrivent à Ivry pour animer un centre d’action sociale qui dépend d’une nouvelle paroisse. C’est le début de «La Charité de Jésus» à Ivry, lnom choisi pour cette petite cellule d’Eglise. Elles ignorent tout de ce milieu, y compris l’existence de deux mondes ennemis, chacun portant sa propre étiquette: catholique ou communiste:

«… le drapeau rouge flottait sur la Mairie et j’ignorais ce qu’il signifiait véritablement. Je venais rejoindre non le ‘prolétariat’; non le ‘marxisme’: je ne le connaissais pas davantage. On m’avait dit qu’à Ivry des hommes étaient incroyants et pauvres. Je connaissais, pour l’avoir éprouvée, la misère de l’athéisme; l’Evangile m’avait révélé la pauvreté. Si ma rencontre avec le marxisme a été durable, elle n’a pas été choisie » (7). C’est grâce aux contacts de travail et à la vie de quartier que Madeleine et ses compagnes vont découvrir qui étaient les communistes et ce qu’était le communisme: « Ce que nous cherchions, ce que je voulais, c’était la liberté de vivre, coude à coude, avec les hommes et les femmes de toute la terre, avec mes voisins de temps, les années de nos mêmes calendriers et les heures de nos mêmes horloges ». (8)

Ce désir de partager la vie des hommes et des femmes de leur temps les amène à quitter les limites du »Centre Social » trop étroitement lié au cadre ecclésial et qui risquait de les couper du monde athée. Elles louent une maison juste à côté de la Mairie. Grâce à ses fonctions d’assistante sociale, Madeleine profite de toutes les occasions de rencontre avec la municipalité communiste et, en 1939, elle sera chargée, par le maire d’Ivry, d’assurer la direction du service social de la région.

Nous retrouvons ici une dynamique qui est très présente dans la vie de Madeleine : celle de l’ouverture aux autres, aux circonstances de la vie, qu’elle reçoit comme des ‘appels’, des sollicitations de la part de Dieu. Incroyante, elle a su s’ouvrir et se laisser interpeller par les chrétiens qu’elle côtoyait. Elle n’hésite pas, une fois devenue croyante, à se laisser interroger par la rencontre avec les communistes et par l’athéisme qu’ils professent ardemment ! Vivant au milieu d’eux, elle continuera ainsi d’être un témoin de la résurrection du Christ aux périphéries de l’Eglise, elle qui pensait autrefois qu’il n’y avait pas de vie après la mort !

 


Source : d’après Wikipédia et cet article de Cath.ch, Madeleine Delbrêl, témoin d’une église ouverte

Notes

(1) Cf. Nous autres, gens des rues (cité NA), Ed, du Seuil, Paris, 1966, p. 57.

 (2) Cf. Ville Marxiste, terre de mission (cité VM), Cerf, Paris, 1970, 2ème édition, p. 249-252.

(3) Cf. La question des prêtres-ouvriers, op. cit., p. 217.

(4) FRANCOIS Gilles, PITAUD Bernard, Madeleine Delbrel, Poète, assistante sociale et mystique, Nouvelle Cité, Bruyère-le-Châtel, 2014, p. 55.

(5) Cf. FRANCOIS Gilles, PITAUD Bernard, Madeleine Delbrel, Poète, assistante sociale et mystique, op. cit., p. 73.

(6) Cf. Eblouie par Dieu, Correspondance, volume 1: 1910-1941, Nouvelle Cité, Bruyère-le-Châtel, 2004, p. 190.

(7) Cf. VM, p. 56.

(8) Idem, p. 10.

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